Auteur: Alberto Ruy-Sanchez
Même en rêve, sa main tachée d'encre
écrivait encore. Peut-être vaudrait-il mieux dire
dessinait encore, parce que les lettres qu'il formait
étaient des filigranes, des labyrinthes, des lettres
inconscientes d'être des lettres, des mots en ébullition
qui prenaient tout à coup la forme d'une barque, d'une
vague, d'un lion, d'un réseau savant de cicatrices ou
celle de la marque que laissent cinq ongles vernis sur
le dos d'un amant.
Rattachée au cycle de quatre romans
sur le désir dont les deux premiers, "Le visage de
l'air" et "Les lèvres de l'eau", ont déjà été publiés en
France, cette nouvelle explore ou commente, comme une
sorte d'apostille narrative, l'hypothèse légendaire de
l'entrée de la mélancolie à Mogador sous forme d'une
pluie fertile tombant sur la ville fortifiée, pluie de
poussière d'os d'un prince chinois possédé du désir
d'éternité. Mais les paradoxes et les ironies de la vie
détruisent toutes les certitudes, celles des ambitions
du prince comme celles du cheminement même de la
nouvelle, écrite par un calligraphe de Mogador dont
l'écriture fugitive se transforme à chaque page selon
l'esprit de l'instant. Cette nouvelle est une arabesque
contemporaine qui défie la circularité, le caractère
monocentrique de la nouvelle latino-américaine
traditionnelle et qui est fidèle à la définition que
Louis Massignon donne de l'arabesque comme forme
essentiellement ouverte aux multiples possibilités
paradoxales de la vie. Et, comme dans les deux romans
susmentionnés, j'ai de nouveau la chance d'être traduit
avec une vitalité poétique manifeste par Gabriel
Iaculli. Alberto Ruy-Sanchez - dédicace
traduite par le traducteur, Gabriel Iaculli
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